Paysage du Yukon

Pathways : À la recherche de réponses et d’apaisement pour les familles d’enfants disparus

Avertissement : Cet article contient de l’information sur les pensionnats et la recherche d’enfants disparus.



Pouvez-vous imaginer envoyer votre enfant à l’école et ne plus jamais le revoir? C’est ce qu’ont vécu des familles du Yukon pendant des décennies.

« Beaucoup de gens ont le cœur brisé ici, affirme Judy Gingell. Ils n’ont pas de réponses. »

Judy préside le groupe de travail sur les pensionnats autochtones et les enfants disparus au Yukon, qui œuvre à retrouver les enfants disparus des pensionnats du territoire.



Au Yukon, six pensionnats étaient en activité de 1903 à 1985 : le pensionnat Chooutla à Carcross; la résidence Coudert, la résidence Yukon et l’école de la mission baptiste à Whitehorse; le pensionnat de Shingle Point à Shingle Point sur la côte arctique; et le pensionnat St. Paul à Dawson. Le pensionnat de Lower Post, dans le Nord de la Colombie-Britannique, a aussi accueilli des élèves des Premières Nations du Yukon. Chaque établissement était dirigé par un ordre religieux différent et financé par le gouvernement fédéral.

Les pensionnats ne rimaient pas avec enfance heureuse. Certains enfants qui y ont été envoyés ne sont jamais revenus chez eux. Parfois, des enfants malades étaient envoyés dans des hôpitaux à l’extérieur du territoire, où ils mourraient et étaient enterrés. Dans d’autres cas, c’est un mystère total. Beaucoup de parents n’ont jamais su ce qui est arrivé à leurs enfants.

Archival photo of the Chooutla Residential School
Archives du Yukon, fonds Edward Bullen, 82/354, nº 19


La réalité sur la vérité et la réconciliation

Le groupe de travail sur les pensionnats autochtones et les enfants disparus au Yukon s’est donné pour mission de découvrir ce qui est arrivé à ces enfants pour aider les familles qui pleurent encore leur disparition à tourner la page, dans une certaine mesure.

« C’est la véracité qu’on recherche dans la vérité et la réconciliation », explique Judy.

Aînée respectée de la Première Nation des Kwanlin Dün, leader et survivante des pensionnats, Judy participe au projet depuis 2021.

« Pour guérir, il est essentiel de savoir ce qui est arrivé à sa famille et à ses proches, et ce qui s’est passé dans nos collectivités », précise-t-elle.



Project Manager Deborah Dupont, former Chair, Adeline Webber, and current Chair Judy Gingell of the Yukon Residential Schools and Missing Children Project speak at a community meeting in Carcross.
Première Nation de Carcross/Tagish / Max Leighton


Concertation

Le projet est mené par un groupe de travail composé de représentantes et représentants de chaque Première Nation qui s’est attelé à cette tâche difficile, mais essentielle, pour toutes les Premières Nations du territoire.

Le groupe a amorcé sa recherche de réponses au pensionnat Chooutla, en activité de 1903 à 1969. Plus de 1 300 élèves du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest et du Nord de la Colombie-Britannique ont été forcés de le fréquenter. Le bâtiment a été démoli en 1993.

Le Yukon est le seul endroit au pays à avoir adopté une approche territoriale coordonnée pour la recherche des enfants autochtones disparus.

« Nous sommes toutes et tous unis dans cette épreuve, affirme Judy. Des enfants de partout au Yukon ont été envoyés dans les pensionnats. C’est donc logique qu’on se serre les coudes, qu’on s’entraide et qu’on présente un front uni. »

L’équipe se réunit régulièrement avec les membres du groupe de travail et les dirigeantes et dirigeants des Premières Nations, et collabore avec les collectivités pour décider comment mener ces travaux délicats.

Deborah Dupont, la gestionnaire du projet, explique que le groupe de travail recueille de l’information auprès de différentes sources pour tenter de trouver les réponses que les familles et les collectivités cherchent. Le groupe a retenu les services de la firme Know History pour les recherches archivistiques.

Pendant ses travaux, la Commission de vérité et réconciliation a identifié 20 élèves disparus du pensionnat Chooutla. Mais des recherches plus poussées ont permis de recenser 33 décès jusqu’à maintenant, un chiffre qui pourrait encore augmenter.

Le groupe de travail rencontre également des survivantes et survivants pour recueillir leurs témoignages sur les enfants décédés ou disparus, afin de déterminer où des recherches par géoradar devraient être menées au pensionnat pour trouver des sépultures anonymes.



Un travail qui ne fait que commencer

Survivant du pensionnat Chooutla, Harold Gatensby habite près des lieux. Selon lui, les gens du coin savent que les esprits des enfants sont encore présents, mais qu’il n’y a rien à craindre. « Ils veulent simplement faire connaître leur présence, explique-t-il. Ces enfants – ces esprits qui continuent d’errer – veulent qu’on sache qu’ils sont là pour nous inciter à agir. »

Pour lui, cette prise de conscience apporte une certaine paix.

« Tout ça traîne depuis trop longtemps, soutient-il. J’habite ici depuis 40 ans et à mon avis, le travail ne fait que commencer pour nettoyer ce gâchis et réparer les pots cassés. »



Des réponses et des questions qui subsistent

Le groupe de travail en est à une étape cruciale de son enquête sur le pensionnat Chooutla. L’équipe de GEOSCAN a terminé ses premières recherches par géoradar cet été et lui a transmis les résultats.

Le rapport de GEOSCAN fait état de 15 tombes potentielles près du pensionnat, des constats qui cadrent avec les récits de la population et des survivantes et survivants.

Les recherches archivistiques pourraient fournir plus d’information aux familles endeuillées. Dans certains cas, les documents d’archives indiquent où ont été enterrés les enfants qui ont été envoyés dans des hôpitaux d’autres provinces. Les familles concernées pourraient alors enfin faire leur deuil et tenir des cérémonies.

C’est ce qui motive le groupe à poursuivre son travail.

« C’est un travail qui doit être fait pour apporter une certaine paix à la population. Depuis combien d’années est-elle dans le noir, à attendre des réponses? », se demande Judy.

Le groupe a communiqué aux dirigeantes et dirigeants des Premières Nations les constats de GEOSCAN et de Know History pour les aider à décider des prochaines étapes. Pour Judy, il ne fait aucun doute que ce travail doit être guidé par les communautés autochtones, et que les cérémonies joueront un rôle crucial dans la guérison et le passage au prochain chapitre. Le groupe collaborera étroitement avec ces communautés pour déterminer comment bien appliquer les constats.

Les données collectées dans le cadre du projet seront éventuellement saisies dans une base de données gérée par les Premières Nations pour garder la trace de l’histoire des pensionnats au Yukon.

GeoScan technicians did ground penetrating radar search of the Chooutla Residential School grounds in June 2023.
Première Nation de Carcross/Tagish / Max Leighton


Harold Gatensby is a survivor of Chooutla Residential School. His daughter, Violet Gatensby, is an artist who painted a commemorative piece on the grounds of the school.
Première Nation de Carcross/Tagish / Max Leighton


Guérir d’un passé douloureux

« Beaucoup de gens ici boivent et consomment des drogues, surtout pour engourdir leurs émotions, car les souvenirs remontent à la surface, explique Judy. On est nombreux à n’avoir jamais appris comment être parent. »

Revenant sur sa propre expérience, elle ajoute qu’on apprenait aux enfants à parler quand c’était leur tour seulement et à se taire, sinon, on leur administrait une correction.

« La vérité, c’est que tant qu’on n’aura pas fait face aux conséquences des pensionnats, on ne pourra pas avancer », indique Harold.

« Les membres des Premières Nations sont des gens exceptionnels, poursuit-il. Ce que nous sommes aujourd’hui ne nous représente pas. C’est ce que nous sommes devenus à cause d’un siècle d’oppression, à se faire dire qu’on est bon à rien et qu’on ne réussira jamais à accomplir quoi que ce soit. Ça affecte les gens. »

Artiste et fille de Harold, Violet Gatensby dit que ses parents lui ont donné la vie qu’ils n’ont jamais eue, mais qu’elle a quand même ressenti les répercussions intergénérationnelles des pensionnats : « Quand j’étais enfant, j’avais peur de ne pas être à la hauteur. Et quand j’y repense maintenant, je réalise que c’est à quoi mon père faisait référence quand il parlait de traumatismes intergénérationnels. »

Elle réalise les espoirs de son père et s’approprie sa culture par son art : « Je veux que les gens regardent mes œuvres et se disent à quel point notre culture est résiliente et belle, plutôt de que voir le sombre passé avec lequel on doit toutes et tous apprendre à vivre. »

Elle a créé une œuvre commémorative à partir d’un morceau de béton des marches de l’ancien pensionnat Chooutla. Cette œuvre représente les enfants qui ont réussi à traverser cette tempête… et ceux qui ne s’en sont pas sortis.

« Je me souviens d’avoir joué sur ce morceau de béton quand j’étais enfant; que de plaisir! Mais après avoir découvert l’histoire qu’il cachait, ce n’était plus amusant du tout. Je voulais pouvoir regarder ce morceau de béton sans penser à tout ce qui me venait en tête. Maintenant, quand je passe devant, je le vois plutôt comme un symbole d’espoir. L’époque des pensionnats est derrière nous, il faut maintenant regarder vers l’avant. »

Judy affirme que le dialogue sur les pensionnats et l’information découverte aident certaines personnes à s’ouvrir : « J’en fais partie, ajoute-t-elle. Je n’ai jamais parlé des pensionnats à mes enfants. J’avais laissé tout ça derrière moi. »



Yukon landscape
Première Nation de Carcross/Tagish / Max Leighton


Trouver du réconfort dans sa communauté et sa culture

Le groupe de travail sait que ce processus sera douloureux pour beaucoup. C’est pourquoi ses membres expliquent aux gens qu’ils doivent se préparer aux émotions qui pourraient remonter à la surface. Les communautés doivent se préparer en créant des groupes d’aide et en organisant des cérémonies pour favoriser la guérison.

Selon Judy, le projet présente aussi un potentiel de guérison.

« Ces découvertes vont éveiller beaucoup de choses, reconnaît-elle. Peut-être que beaucoup de parents vont commencer à s’ouvrir à leurs enfants, car dans les faits, bien des enfants ne sont même pas au courant de ce que leurs parents ont vécu. »

Sans vérité, sans compréhension et sans réponse, les pensionnats pourraient demeurer une plaie ouverte pour bien des personnes. Ce projet, qui représente un pas important vers la guérison pour les collectivités du Yukon, trouve véritablement ses racines dans la force, la résilience et l’unité des membres des Premières Nation du territoire.

« Le plus important, c’est de s’entraider, de se serrer les coudes et d’être là les uns pour les autres quand des découvertes sont faites », affirme Judy.

Aide aux survivantes et survivants et à leurs familles

  • Ligne d’écoute nationale des pensionnats indiens (24 h/24) : 1‑866‑925‑4419
  • Committee on Abuse In Residential Schools (CAIRS) : services d’intervention et de counseling pour les survivantes et survivants des pensionnats au 867‑667‑2247
  • Services de consultation rapide du gouvernement du Yukon : 867‑456‑3838
  • Gouvernements des Premières Nations : différents services et diverses ressources


Lire d’autres articles du magazine Pathways
Lire d’autres articles du magazine Pathways

Nous voulons connaître votre opinion